Champ d'Honneur

Par Tom (Ludifolie)

Le fils du roi ne disait mot. Ses yeux perçants scrutaient le champ de bataille. Autour de lui, les chevaux piaffaient et les généraux s'impatientaient. De l'avis des officiers, les chevaliers auraient déjà dû lancer la charge. Le sénéchal s'approcha au trot du dauphin.

- Seigneur, souffla le Sénéchal, il faut charger, ou il sera trop tard !

Le dauphin fit un signe dédaigneux de la main. Ce geste signifiait un « pas encore » que le sénéchal ne connaissait que trop bien. Toutefois, le fils du roi sortit de son mutisme.

- Les éclaireurs sont-ils revenus ?

- A l'instant Sire, répondit le Sénéchal, ils sont prêts à être redéployés. Mais si nous attendons encore... les piquiers ne pourront tenir bien plus longtemps le centre du champ de bataille. Et si nous y sommes défaits...

Le fils du roi sembla se perdre dans ses pensées. En contrebas, le fracas des combats et les cris de guerre résonnaient dans la vallée verdoyante. Des rivières de sang se mêlaient déjà à la boue. De toute évidence, l'armée royale était en train de perdre. Les soldats portant la livrée royale reculaient inexorablement devant la férocité des guerriers venus du Nord.

- Les lanciers sont-ils en place ?

- Comme vous l'avez commandé. Mais leur aide serait bien précieuse au centre...

Le dauphin sembla s'impatienter.

- Rejoignez les rangs et attendez mon commandement.

Le Sénéchal enfonça la tête dans son armure comme l'aurait fait une vieille chouette mécontente et regagna ses chevaliers, dépité. Le fils du roi l'observa du coin de l'oeil et sourit. Son esprit s'envola à nouveau.

Il se voyait, plus jeune de dix ans, son grand coffret devant lui. « Vous tenez entre les mains un jeu de stratèges, joués par les Rois, les Reines et les guerriers. », lui avait dit le vieux général de son père en lui offrant. Ce cadeau ne l'avait jamais quitté. Il n'y avait pas un membre de la cour contre qui le jeune dauphin n'avait pas joué. Et quand il les eut tous affrontés et battus, il affronta les palefreniers, cuisiniers et pages. Et quand il les eut battus à leur tour, il joua contre les gens de passage à la cour, qu'ils fussent dignitaires ou ambassadeurs. Affronter le dauphin avant toute entrevue officielle avec le roi était devenu un défi auquel tous les étrangers se livraient volontiers. Et quand enfin, le fils du roi ne trouva plus d'adversaire à sa mesure, il imagina seul ses propres affrontements et ses propres défis.

Dans la vallée en contrebas, des jetons virevoltaient et mourraient alors que ses souvenirs se mélangeaient au réel. Les piquiers pouvaient tenir. Les éclaireurs chargeraient de dos les archers ennemis. Les lanciers sur les flancs feindraient la retraite pour aspirer les combattants d'élite ennemis dans une nasse pour permettre à ses chevaliers de charger de flanc. La panique et le chaos causés par l'impact de sa cavalerie lourde lui donneraient la victoire.

Enfant, cette bataille, il l'avait déjà faite un millier de fois.

Le dauphin leva la main. Le Sénéchal, soulagé, hurla les ordres à ses officiers et la charge des chevaliers fit trembler le sol de la vallée.



Aujourd'hui, nous allons vous parler rapidement d'un jeu qui a bien pris à Ludifolie, j'ai nommé Champ d'Honneur ! Imaginé par Trevor Benjamin et David Thompson, publié originellement chez Alderac Entertainment group, le jeu nous est proposé en France par Gigamic. Quasi abstrait et se jouant scrupuleusement à 2 ou 4 joueurs, le jeu nous fait incarner un chef de guerre antico-médiévalo quelque chose pour s'affronter allègrement sur une map composée d'hexagones, le tout à grands coups d'unités représentées par des jetons.

Détaillons un peu. Chaque joueur dispose de quatre types d'unités en début de partie, parmi seize, toutes différentes les unes des autres. Le jeu est donc tout à fait asymétrique, et le choix des troupes peut se faire selon des combinaisons proposées dans le livre des règles, mais aussi via un draft ou encore grâce à ce bon vieux hasard. Chaque unité dispose d'un pouvoir particulier et d'un certain nombre de jetons associé, généralement quatre ou cinq. En début de partie, deux jetons de chaque unité sont envoyés dans un sac, avec un neuvième jeton ne correspondant à aucune unité. Oui, nous sommes bien dans du bagbuilding. Il y aura donc un brin de hasard mêlé à beaucoup, beaucoup de stratégie.

Ensuite, la manche commence. Chaque joueur joue tour à tour un jeton parmi trois qu'il pioche au hasard dans son sac. Plusieurs actions existent, les principales étant : recruter un jeton en réserve d'une de nos unités en défaussant n'importe quel jeton de notre main, faire apparaître une unité sur le champ de bataille sur un point de contrôle (sachant qu'une unité ne peut être jouée qu'en un seul exemplaire sur la map), déplacer une unité, renforcer une unité en empilant des jetons pour qu'elle ait plus de points de vie, activer une capacité, faire attaquer une troupe en défaussant un jeton du même type, ou encore récupérer l'initiative. Chaque unité tuée quitte définitivement le jeu, ce qui fait que, plus on perd de jetons en jeu, plus nos options deviennent limitées, les chances de tirer le bon jeton d'activation se réduisant au fur et à mesure que les pertes s'accumulent. Le but du jeu est simple : contrôler un certain nombre de points de contrôle sur le plateau de jeu en premier pour remporter la victoire.

Sur les quelques parties déjà jouées, le timing comme les déplacements ont fait salement chauffer les méninges, et chaque erreur d'appréciation semble pouvoir être fatale. Stratégiquement exigeant, comme tout bon jeu abstrait qui se respecte, Champ d'Honneur se teinte toutefois d'une diversité (par son choix d'unités, toutes uniques) et d'une pointe de hasard qui le rendent aussi passionnant que tendu. En ce sens, la marge de progression semble également énorme tant les combinaisons d'unités aboutissent sur des parties complètement différentes à chaque fois. Se pose évidemment la question de l'équilibre et de l'asymétrie sur un tel jeu... Seul le temps et l'enchainement des parties nous dira ce qu'il en est, mais sur celles déjà jouées et les retours qu'on a pu avoir, l'équilibre n'a pas semblé être un souci tant les unités peuvent combiner ou se renforcer de manière inattendue. Pour le moment, aucune combinaison d'unités n'a l'air non plus de casser le jeu. On a le sentiment de se faire les dents sur un jeu mûrement réfléchi, ce qui est toujours agréable pour les joueurs que nous sommes.

Si le jeu nous a frappé par ses qualités de gameplay, le matériel n'est pas en reste. La boite format coffret (après tout, War Chest en Anglais) est très jolie, les sacs sont magnifiques, le design de l'ensemble est très lisible et donc rapide à appréhender en terme de jouabilité, sans compter que le choix de placer entre nos mains de bons gros jetons de type poker n'est pas loin d'être aussi jouissif que d'avoir de la figurine à pousser (j'ai bien dit presque).

Pour conclure, Champ d'Honneur était un jeu attendu en France et il ne déçoit pas. Ses larges possibilités stratégiques et tactiques ne souffrent à priori ni du hasard (qui allège un peu la migraine stratégique avec un brin de chance) ni de l'asymétrie, et sa variété d'unités fait qu'en s'en lassera bien moins vite que n'importe quel jeu abstrait récent. Ajoutez à ça l'objet plutôt joli en soi avec son matériel de qualité, et vous aurez un jeu qui ne prendra définitivement pas la poussière sur votre étagère. Devenez le chef de guerre ultime, et bien sûr, essayez de ne pas tomber trop vite au champ d'honneur...

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