[Kosmopoli:t]

Par Tom, Ludifolie

- Ok, écoute moi bien, il me faut un Sksous tarhsayt dtirkmin' pour la cinq !

- Un Sksous... attends un quoi ? Tu peux répéter ?

- Un SKSOUS TARHSAYT DTIRKMIN'. C'est pas compliqué, allez là ! Et ensuite un Chipiroyak bérèn tin'tan pour la une en terrasse.

- Attends je note le premier là. S...K...SOUS Tarch...

- Et un Chèlkneul ok potatiskatèng aussi pour la douze !

- Mais, mais... qui a eu l'idée à la noix d'ouvrir ce restau déjà ?

Aujourd'hui, j'ai eu envie de me pencher sur un petit jeu qui, une fois n'est pas coutume, ne parle pas de dragons, de guerriers ou de terres à conquérir, mais bien de cuisine. Promis, c'est bien moi, Tom, qui écris, n'appelez pas ma famille, je vous assure que je n'ai pas été kidnappé.

Il faut dire qu'en jeu de société, la cuisine est un thème de plus en plus porteur, avec la sortie récente de nombreux titres consacrés aux arts culinaires : Kitchen Rush, Soviet Kitchen, Cuistot Fury, pour ne citer qu'eux, et bien sûr [Kosmopoli:t] (prononcer « Kosmopol'eat »), le sujet de cet article !

Commençons donc par l'entrée. [Kosmopoli:t] est un jeu d'ambiance édité par Jeux Opla dont la carte a été concoctée (pour reprendre les termes de la boite elle-même) par Florent Toscano et Julien Prothière, et dont les tables (illustrations) ont été dressées par Stéphane Escapa. Il serait réducteur de limiter le crédit du jeu à ces seules personnes tant le projet, qui aura mis quatre ans à voir le jour, semble avoir impliqué de nombreuses personnes d'horizons différents. Nous reparlerons toutefois de ça plus loin.

Sans plus attendre, nous pouvons nous ruer vers le plat principal avec l'explication du jeu. [Kosmopoli:t] est un party game qui se joue de quatre à huit joueurs, pour des parties de six minutes chrono. Le principe du jeu est que vous travaillez pour le restaurant le plus cosmopolite du monde. Chez vous, presque n'importe quel plat typique peut être commandé, et ce dans une myriade de langues différentes ! Aux joueurs de coopérer et de s'organiser au mieux pour servir les bonnes commandes dans les temps...

Le jeu s'accompagne d'une application, qui simulera entre autres le restaurant et les commandes des clients. Elle permet également de choisir à la mise en place le niveau de difficulté (nombre de tables à gérer, cartes supplémentaires), et les régions linguistiques désirées selon le nombre de joueurs, sélectionnées entre cinq continents (et la France, Cocorico). Les joueurs se partagent ensuite trois rôles principaux.

Le premier rôle est celui de la serveuse, qui gère l'application. Armée d'une paire d'écouteurs, la serveuse devra cliquer rapidement sur les clients ayant choisi leur plat pour entendre leur commande, qui se fera dans une des langues provenant des continents choisis en début de partie. Elle doit alors répéter au mieux ce qu'elle entend au maître d'hôtel, en précisant à quelle table appartient la commande.





Le maître d’hôtel est le second rôle. Le joueur en ayant hérité devra noter au plus vite ce que lui dit la serveuse, soit la table et le nom du plat. Il ne comprend pas ce qu'il note, mais ce n'est pas le but puisque le maître d'hôtel est surtout là pour garder trace de ce que dit la serveuse. Il répète ensuite ce qu'il écrit aux cuistots.

Les dits cuistots, derniers rôles jouables, sont eux en charge des ingrédients. Ils disposent d'un certain nombre de cartes de langues sur lesquelles sont notés à chaque fois six plats d'un des dialectes provenant des continents choisis en début de partie. Les plats sont écrits en « translittération » , c'est à dire une écriture phonétique du plat, mais adapté à l'écriture française (histoire de ne pas être complètement paumés). Les cuistots doivent ensuite trouver en toute vitesse le plat qui correspond à ce que leur dit la serveuse et le maître d'hôtel.

Une fois le plat trouvé, les cuistots cherchent la carte ingrédient en lien avec ce dernier qu'ils doivent alors transmettre au maître d'hôtel,  qui lui l'associe au numéro correspondant à la bonne table, avant de repasser le tout à la serveuse qui s'en servira pour délivrer le plat directement sur l'application. Une table correctement servie accorde dix points, mais des points seront perdus à chaque fois qu'il faut réécouter la commande d'une table précédente, qu'on livre une mauvaise table, ou qu'on sert une table alors que le temps est écoulé.

Evidemment, comme souvent avec les jeux avec application (qu'on voit de plus en plus souvent, que ce soit avec les Unlock ou les plus gros jeux comme Voyages en Terre du Milieu) le jeu est évolutif. On commencera avec seulement six tables à livrer, puis au fur et à mesure de l'avancée des joueurs dans les niveaux, de nouvelles cartes ingrédients et langues se rajouteront, ainsi que de nouvelles tablées. Si les premières parties sont pépères, tout ça peut très vite tourner façon Cauchemar en cuisine si on réussit pas à s'organiser (ou que les plats sont prononcés n'importe comment par ceux dont le rôle est de les répéter).

Le jeu recèle même des petites surprises, comme la visite possible d'une personne du guide Micheline (oui, Micheline) qui donne des points supplémentaires si elle est bien servie, ou encore ce petit client plaisantin (on connait bien nous, à Ludifolie) qui vous commandera un plat qui n'est noté sur aucune des cartes et pour lequel il faudra servir un yaourt pour obtenir satisfaction. Autant vous dire que vous avez survolé le livre de règles en ayant zappé ce passage, vous l'aurez dans l'os (à moelle).

En résumé, [Kosmopoli:t] est un party game vraiment fun, dont l'aspect évolutif permet vraiment d'affronter la difficulté du jeu de façon crescendo, avec une bonne dose de rigolade linguistique (imaginez un peu prononcer Mmyoun'gou nibichyim'bo dans le stress des commandes s'accumulant). L'application est simple et claire, sans compter qu'elle fait gagner du temps à la mise en place, ce qui est toujours un bon plus quand on veut se lancer rapidement ! La rejouabilité, même si elle est bien présente, est peut-être le seul point faible du jeu, car un groupe de joueur qui décidera de vraiment poncer les niveaux en arrivera probablement au bout en une ou deux grosses soirées. En attendant d'éventuelles extensions ? Quoi qu'il en soit, si on a plusieurs groupes de joueurs, le plaisir n'en est que décuplé et il y a quand même quelques bonnes soirées à passer avec cette boite de jeu.

Pour conclure, on ne saurait finir un bon repas sans passer au dessert... et la cerise sur le gâteau, c'est que non seulement [Kosmopoli:t] est un très bon jeu, drôle et accessible, mais c'est aussi un jeu dont la genèse est tout à fait passionnante et dont la profondeur du travail accompli en amont est assez rare pour être soulignée. En effet, un livret d'une soixantaine de pages, nommé « Le dessous des cartes » s'ajoute à la boite de jeu. En feuilletant ces pages, on découvre non seulement des détails passionnants sur les langues utilisées dans le jeu, mais on en découvre aussi plus sur leur locuteurs, sur les enjeux linguistiques modernes, sur les difficultés de la translittération... En bref, on découvre un véritable travail scientifique effectué lors de la conception du jeu, en partenariat avec le CNRS et le Laboratoire Dynamique du Langage, autour d'un patrimoine linguistique mondial qu'on découvre ou redécouvre sous un angle nouveau.

Avec ce livret, [Kosmopoli:t] se pose donc non seulement comme une perle ludique, mais également comme une véritable lettre d'amour à la langue et à la culture qui aura rassemblé une douzaine de personnes rien que pour l'équipe créatrice du jeu, mais aussi des dizaines d'autres pour les enregistrements des voix, étant donné que les noms des plats sont déclamés par de véritables locuteurs des langues choisies. Une véritable tour de Babel auditive !

Comme il manquait le café gourmand pour en finir, on peut rappeler que l'éditeur, Jeux Opla, fait développer et écofabriquer ses jeux entièrement en France, ce qui est assez rare et louable pour être souligné, vu que c'est le cas pour moins de 1% des jeux vendus dans l'hexagone. Une raison de plus, s'il en fallait encore, de se jeter sur le jeu et de le dévorer (dans la langue de votre choix) !

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